
« Dans mon immeuble, au pied du Mont-Gros, l’égalité face à l’équipement est loin d’être une évidence », explique Pierre*, habitant de Saint-Roch. France Télécom était un établissement de droit public qui assurait l’accès au téléphone partout sur le territoire et de façon égalitaire. Force est de constater qu’il n’en est pas de même pour l’accès à Internet. Pourtant, le numérique est un flux devenu indispensable à nos vies et qui doit à ce titre être considéré comme un service public.
Les inégalités en France sont accentuées par le confinement que nous subissons. C’est le cas notamment de l’accès au numérique dont nous avons tant besoin en ce moment. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Malgré le sentiment que nous pouvons avoir d’une société ultra-connectée, 15% des Français n’ont pas utilisé Internet l’an dernier, 12% n’y ont pas accès chez eux et 40% des utilisateurs n’ont pas toutes les compétences pour l’ensemble des possibilités de cet outil (sources INSEE – octobre 2019). Et il y a toutes les chances pour qu’il en soit de même pour Nice, même si nous n’avons pas de données statistiques locales précises. Avec la crise du Covid-19, l’Éducation nationale reconnaît avoir perdu le contact avec près de 8% des élèves (à peu près 900 000 écoliers, collégiens et lycéens…). À quoi est due cette inégalité ? À la formation et à l’âge, bien sûr, mais aussi au coût du numérique, au prix et au manque de transparence des abonnements auprès des fournisseurs, au coût du matériel (ordinateurs, smartphones, tablettes…), à l’existence de zones blanches, etc.
« Dans mon immeuble, même si les appartements disposent de la même technologie (le câblage en fibre optique), l’égalité face à l’équipement est loin d’être une évidence, souligne Pierre. Pour ma part, j’arrive à travailler en télétravail pour garder le lien avec mes élèves (je suis enseignant) et avec les professeurs de mes enfants. Nous ne sommes pas particulièrement équipés d’un matériel dernier cri, mais nous avons suffisamment d’outils pour que chacun puisse travailler tranquillement. Par contre, deux étages en-dessous, il y a Kummba*, ma voisine et son mari. Ils ont trois enfants scolarisés dans tous les niveaux (primaire, collège et lycée) et se partagent un seul ordinateur pour l’ensemble des devoirs et de leurs démarches administratives. Au-dessus de chez moi, il y a Thierry*, qui remercie Nice-Matin de publier les attestations de déplacement dérogatoire car il n’a ni ordinateur, ni imprimante. Et que dire des nombreuses personnes âgées, qui sont résidentes de l’immeuble depuis sa construction dans les années soixante, et qui n’ont même pas de forfait Internet, pour consulter le modèle de ces attestations par exemple ? ».
Comment faire ? La solidarité est un moyen nécessaire et naturel, mais qui a ses limites. Des écoles centralisent les photocopies à distribuer, des voisin·es peuvent donner un coup de main, mais ces solutions ne sont pas viables sur le long terme. Au moment où l’école ne peut se faire qu’à distance et où le gouvernement demande aux Français·es de se convertir au télétravail pour celles et ceux qui le peuvent, il est indispensable de réfléchir à la nécessité d’un service public du numérique neutre, autonome et indépendant, en dehors de toutes problématiques marchandes imposées par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, etc.) quand nous sortirons de l’urgence de cette crise due au Coronavirus.
France Télécom était un établissement de droit public qui assurait l’accès au téléphone partout et de façon égalitaire grâce à un réseau extrêmement dense sur l’ensemble du territoire. Force est de constater qu’il n’en est pas de même pour l’accès à Internet. Pourtant, la privatisation de France Télécom à la fin des années 90, couplée à l’apparition de nombreux autres opérateurs utilisant son infrastructure historique, nous a été présentée comme une transformation moderne à laquelle il n’y avait pas d’alternative. Pour notre territoire, il est urgent de réfléchir à des régies locales au niveau de la Métropole, à l’image de ce qui peut se faire pour l’accès à l’eau par exemple. Le numérique est un flux devenu indispensable à nos vies et qui doit à ce titre se soumettre au contrôle public et citoyen. Il doit être accessible à toutes et tous, sans aucune discrimination liée à la situation géographique et sociale des habitant-es. Il doit également proposer une alternative sérieuse aux logiciels d’accès aux contenus (de type Google, Apple et autres) pour éviter aux citoyen-nes de se transformer en cibles marchandes. C’est une question d’égalité.
En pleine pandémie et en concurrence avec leur équivalent chinois, Apple et Google justement coopèrent pour développer le traçage numérique sous prétexte de lutter contre le Covid-19. À l’opposé, la récession mondiale qui va arriver doit nous permettre de repenser notre rapport à la consommation technologique de ces trente dernières années. Très polluant, le numérique dans son ensemble doit désormais s’envisager sous des formes sobres et résilientes si l’on veut respecter les engagements de la COP21. La course à la 5G et le numérique omniprésent dans nos vies sont incompatibles avec une gestion saine de l’environnement. Et contrairement à ce qui est avancé, ces technologies ne sont pas des solutions à la réduction des inégalités. Nice, Smart city reconnue mondialement, compte plus de 20% de sa population sous le seuil de pauvreté (contre une moyenne nationale à 15%). Il faut repenser le but du numérique en réfléchissant par exemple, dans notre situation d’urgence, à un plan de financement des collectivités locales pour fournir des clés 3G ou 4G aux familles ne disposant pas d’une box à domicile. Ce qui est bien plus important que de se liguer pour tracer la population à l’aide d’une technologique toujours plus intrusive…
* Les prénoms ont été changés.